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Vous avez dit patrimoine ?
(pour François Kinder qui n'était pas là).

Les journées du patrimoine, dont l'intitulé exact est " Journées européennes du patrimoine " fêtaient ce week-end leur trentième anniversaire. À leur création par Jack Lang, alors qu'il était jeune ministre de la culture, en 1984, cela s'appelait " Journée Portes ouvertes dans les Monuments historiques ". C'est à Grenade en Espagne le 3 octobre 1985, lors de la 2e Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables du patrimoine architectural, qu'il proposa d'étendre l'initiative française à d'autres pays européens.
Cette année c'était le 14 et 15 septembre 2013.
Je n'en reviens pas : cela me semble déjà il y a longtemps.

Il faut dire que les journées du patrimoine, depuis le début je n'en n'ai pas grand chose à faire, et n'ai la plupart du temps rien fait de mémorable ou de spécial ces jours-là.
1- D'abord ce sont des dimanches, jours que je déteste depuis toujours, et pendant lesquels je passe à me demander ce que font les gens après être sortis de la messe et être passés à la patisserie Smoll, celle où il y a la queue le dimanche matin, et après avoir à la rigueur lavé leur voiture.
Je sais de quoi je parle : tous les dimanches matin je vais acheter une religieuse ou un pet-de-nonne pour l'offrir à ma vieille voisine Micheline que j'adore.
2- Je n'aime pas les foules privées de leur travail (ou aujourd'hui de leur chômage) et qui viennent s'extasier en visitant les maisons des riches, en trouvant tout et tout le temps très beau ! Ça fait un peu triste : la semaine je bosse et je joue au loto, le dimanche je vais visiter des demeures que je n'en aurai jamais, des comme Stéphane Bern nous montre à la télé.
3- Rassurez-vous. Je joue moi aussi loto, et je vais visiter aussi les belles demeures (et historiques si possible, ça fait plus sérieux). Mais pas seulement et spécialement les journées du patrimoine, c'est une petite différence.

Le patrimoine ! En voilà un grand et beau mot, qui emplit bien la bouche, donne bonne conscience et rassure : Ouah que notre monde est joli, ah l'histoire avec un grand H ! Ah si on pouvait rencontrer Stephane Bern pour avoir un autographe !
Bla bla bla... Le patrimoine, moi je l'honore tous les jours. Mon patrimoine c'est les chemins et la campagne boueuse que j'emprunte, c'est la ferme abandonnée ou mal entretenue, c'est l'usine désaffectée... et tout ce que j'ai dans la tête. Au fait, qui décide ce qu'est le patrimoine ? Que faut-il pour que " quelque chose " fasse partie du patrimoine ?

Mais je plaisante, j'adoôore aussi les ruines, les choses " du temps passé ", j'adore l'Histoire (et plus, les histoires), c'est mon côté romantique, et à chaque fois dans ces décors j'imagine le film que je pourrais y tourner, les musiques que je mettrais sur les images, les dialogues tristes que j'écrirais pour faire des scènes d'anthologie et qui feraient pleurer les téléspectateurs. Bon j'arrête, les gens vont me croire.

- Tu te rends compte mon chéri, que c'est dans ce souterrain du XIIIè, que la duchesse de Matuvu, la fille du comte de trucmuche, amant de Lady Legroutrou, cacha ses bijoux hérités de son duché de Cornouaille, pour éviter que son fils Richard, jeune dépravé du canton de Trifouillis ne les lui vole pour payer les orgies qu'il faisait chez les moines de Tiron ?
- Ouais... Ben dis-donc !
Du temps passe. Plus tard :
- Chéri y'a quoi à la télé ce soir ?
Silence, le mari imagine les orgies chez les moines de Tiron, à l'époque où ayant oublié la règle de saint Benoît ils écrivaient de fausses chartes pour augmenter leurs revenus...
Rideau
.

Mais cette année, les journées européennes du patrimoine, furent pour moi à marquer d'une pierre blanche pour plusieurs raisons.

1- Elles ont commencé une semaine plus tôt, quand j'ai décidé de participer à un hommage à Claude Prévost, homme et personnage disparu il n'y a pas longtemps, que je connaissais (assez bien), et qui a passé la deuxième partie de sa vie, à organiser des expositions dans tous les villages du coin. Ce qu'il appelait " mailler le territoire ". Quand je lui avais demandé quel adjectif le caractérisait il m'avait répondu : " pugnace", et quelle phrase le résumait, il m'avait répondu : " Touche-à-tout et bon à rien". Un tel homme, aimant comme moi la peinture et le vin rouge, méritait bien un hommage.
J'ai donc passé quelques jours et nuits à faire un tableau spécialement pour cette exposition/hommage, organisée dans l'abside Saint-denis à Nogent le Rotrou (par la municipalité de Nogent-le-Rotrou, sous couvert de l'adjointe à la culture Catherine Catesson, et le collectif Courant d'art fondé et présidé par Claude Prévost) et qui ne durait que samedi et dimanche.
Je suis allé déposer mon tableau à l'abside le vendredi après-midi, et j'ai aidé tant bien que mal à installer (avec Mélanie, Philippe, Françoise, Didier...) dans la limite de mes moyens physiques. Cette exposition aura au moins le mérite de montrer 7 ou 8 toiles de Claude Prévost, qui peignait lui-même sans trop en parler ni se mettre en avant.

2- C'était la première fois que je montrais publiquement une toile depuis mon arrivée il y a presque 10 ans à Nogent-le-Rotrou.
je suis passé le samedi matin sous une pluie battante, où la jeune fille gardienne m'a dit que j'étais le 3e visiteur.
J'y suis repassé le dimanche, pour récupérer ma toile, et aider au démontage de l'expo. La journée ayant été ensoleillée, la jeune fille m'a dit qu'il était passé environ 150 personnes. Les gens sont donc sortis de chez eux un peu comme les champignons après une belle pluie d'automne. Ça m'a fait plaisir d'autant plus que Claude Prévost fut le même jour à la une du journal local, avec un bel article à l'intérieur. Cela lui aurait fait plaisir.
Le but visé pour ce week-end est pour moi atteint.
Claude Prévost fait partie de mes morts, et reste en cela toujours vivant en moi, comme sans doute chez d'autres.



3- Cela m'a ravivé l'idée et l'intention, puisque nous avons eu pendant un certain temps le projet commun qui nous a valu de nombreuses conversations, le plus souvent le matin et en fin d'après-midi sur la terrasse ou à l'intérieur du café Saint-Pol (j'habitais à cette époque dans un coin de cette place), d'écrire un texte ou une nouvelle/portrait sur son histoire.
Fait rare, je n'ai jamais réussi à me fâcher avec Claude Prévost malgré nos divergences profondes (notamment sur l'artisanat qu'il ne voulait pas distinguer de l'art, et sur son entêtement à appeler art contemporain tout ce que faisaient les artistes encore en vie aujourd'hui). Pugnace, oui, il l'était !
Mais je sais aujourd'hui qu'il ne suffit pas d'avoir envie de faire quelque chose, pour que la chose soit faite un jour.
C'est toute la différence entre le dire et le faire.

4- En sortant de l'abside samedi, je suis passé dire bonjour à mes amis de Label Friche avec l'intention de prendre un café dans la CASA CASAN0 installée dans une des cours de ce batiment historique qu'anime avec force courage toute l'équipe de l'association. Il pleuvait des cordes. C'était presque vide de gens, mais c'était magnifique.

Dans la cour de ce bâtiment appelé autrefois Hôtel de l'Ecu de Bretagne : une scène, un mur,
une sorte de cafétaria indiquée CASA CASANO, avec un comptoir (petits gâteaux, boissons variées...) des petites tables et des chaises. Espace fumeur : le luxe ! L'endroit idéal pour écouter la pluie, discuter avec ses voisins , penser, sentir le temps passer...
... ...
Au fond de la cour, à l'intérieur d'une salle gothique d'où part une sorte de cave souterraine, il y avait LA CASA MONA LISA, où Elisa Fiasca avait organisé une exposition collective en partant du thème de Mona Lisa, et qui montrait quelques belles surprises
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" Un sorriso nelle tue labbra di donna "
Elisa Fiasca



...................Peinture "
...................François Kinder

(Je pense avec tendresse ce qu'aurait dit Claude Prévost pour essayer de lui expliquer pourquoi j'aimais ça !)
Je suis parti à la fermeture vers 20h30, alors que, rappelons-le, j'étais passé le matin, juste avec l'intention de prendre un café.
Il faut dire aussi que tout l'après-midi je fus hypnotisé par le chant d'une sirène et qu'il me fut donc impossible de partir... Et je ne fus pas le seul.
Je suis rentré beaucoup plus tard, après un repas chez des amis, où nous avons festoyé de moules et de frites excellentes, et où nous avons fort ri de sujets que je ne peux dire ici.


5- Dimanche, soleil après la pluie, les champignons sont sortis. Affluence partout dans la ville et les campagnes. Les voitures au bord des routes stationnées à la file indienne. À Thiron-Gardais des milliers de gens viennent voir " les jardins de Stéphane Bern " (pauvres gens : La vedette n'était pas là, et ce ne sont pas "ses" jardins. Ce sont ceux du Collège royal militaire qu'il a acheté, qui existent depuis longtemps et n'ont pas été ni conçus ni entretenus par lui, sauf la journée où il a fait une photo pour le magazine Gala...). Mais reconnaissons que les foules se déplacent dès qu'il est question d'un présentateur télé. Quelle époque !)
Je retourne à Nogent-Le-Rotrou à Label friche, elle aussi aujourd'hui bien envahie, par des jeunes de 7 à 77 ans.

La chorale Syrinx n'a pas rajeuni, et sa Yamaha girl non plus. On est bien là dans la sauvegarde du patrimoine.
... ... De nouveau je reste jusqu'à la fermeture. Sur un air italien et sur la chanson de Léo Ferré Avec le temps...
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Je fus donc ce week-end un gentil et docile citoyen : J'ai "fait" les journées du patrimoine !
(Tout en restant avec Cioran dans Aveux et anathèmes :
" Un patrimoine bien à nous : les heures où nous n'avons rien fait... Ce sont elles qui nous forment, qui nous individualisent, qui nous rendent dissemblables. "